ANAE N° 115 - Troubles du spectre autistique et troubles d'appentissage
Vol 23 – tome V – décembre 2011
N° coordonné par le Pr J.-L. Adrien (Université Paris Descartes)
Troubles du spectre autistique et troubles d’apprentissage
Identification précoce et accompagnement
de l’enfance à l’âge adulte
L’autisme est un trouble envahissant du développement qui se manifeste de façon différente et singulière chez les personnes qui en sont atteintes. Mais toutes ces personnes ont des troubles d’apprentissages, évidemment dans les secteurs qui caractérisent principalement cette pathologie, la communication et les fonctions qui la sous-tendent tels que l’attention conjointe et le jeu symbolique, l’empathie, la théorie de l’esprit et les fonctions exécutives, mais aussi dans les domaines de l’autonomie, de la socialisation et de la cognition nécessaire aux acquisitions scolaireset à l’exercice d’une activité professionnelle.
Si l’autisme est un trouble précoce car présent dès la naissance, la difficulté d’apprendre est elle aussi précoce : apprendre à regarder dans les yeux, à imiter un sourire, un geste, à s’orienter dans la direction d’une main pointée vers un objet, à porter attention à quelque chose en même temps qu’une autre personne. Et cette difficulté d’apprendre dure toute la vie. Apprendre à l’école pour savoir lire, écrire, compter et communiquer avec les camarades dans les différents lieux de vie et de rencontre ; apprendre un métier et apprendre à réellement travailler. Chaque instant doit être consacré à aider la personne avec autisme à apprendre. Chaque instant doit être consacré à l’accompagnement aux apprentissages de la vie sociale et cognitive. Et les familles le savent mieux que quiconque, elles, dont l’activité d’accompagnement est continue.
C’est pourquoi, ces apprentissages difficiles à faire et à maintenir tout au long de la vie doivent être
identifiés et repérés très tôt (articles de Julie Brisson, Josette Serres et Jean-Louis Adrien ; de Rutger
Van Der Gaag ; de Herbert Roeyers) ou au moment où ils sont sollicités, comme ceux relatifs aux
activités physiques et sportives (article de Jean-Paul Moretton et Éric Dugas). Ces apprentissages
doivent être soutenus et accompagnés au moyen de programmes d’intervention développementale
écologique, à l’école et en entreprise (article de Maria Pilar Gattegno, Nathalie Abenhaîm et Marion
Wolff), programmes qui sont indiqués grâce à un dépistage systématique des particularités et des
dysfonctionnements des jeunes enfants (article de Sophie Baduel et Bernadette Rogé) et qui sont
nécessairement précoces (article de Carmen Dionne) et qui soient au mieux suivis et personnalisés
et centrés sur les troubles de la régulation de fonctions sociocognitives comme l‘attention conjointe
(article de Brigitte Pérès-Al Halaby et Jean-Louis Adrien).
Ces travaux ont fait l‘objet de présentation lors d’un Congrès International « Troubles du spectre
autistique et troubles d’apprentissage. Identification précoce et accompagnement de l’enfant à l’âge
adulte » organisé par la Licence professionnelle « Accompagnant de personnes avec autisme et troubles apparentés » et le Laboratoire de Psychopathologie et Processus de santé (LPPS, EA 4057) de l’Institut de Psychologie de l’université Paris Descartes, avec les soutiens du Groupe THALES, de
l’ARAPI, de l’UNAPEI et de la Galerie Daniel Malingue (Paris).
Jean-Louis ADRIEN
I – Identification des troubles du spectre autistique et des troubles des apprentissages
La recherche clinique, médicale et psychologique a permis de franchir, ces dernières années, des étapes décisives dans le repérage des troubles autistiques avant deux ans, dans la compréhension de ces pathologies et dans le ciblage des interventions. Les travaux originaux présentés lors de cette matinée mettent l'accent sur la pertinence de la détection le plus tôt possible ainsi que sur les bienfaits des entrainements en individuel et en groupe pour la communication et l'insertion.
L'analyse de films familiaux met en évidence des trajectoires particulières d’interaction précoce « mère-bébé », le bébé paraissant dès le premier semestre peu apte à initier et soutenir des échanges synchronisés avec son partenaire adulte. Ces observations de dysfonctionnements très précoces ouvrent des pistes pour l'identification de « marqueurs » comportementaux dont il faudra vérifier la spécificité avant 6 mois. L'une des fonctions pivots est l'attention conjointe, prérequis essentiel à la communication et au langage. Cette fonction a fait l'objet d'études « dynamiques » chez de très jeunes enfants avec autisme et chez des enfants à risque (les frères et soeurs). Des perspectives d'intervention se sont dégagées.
Une vaste étude de Santé Publique aux Pays-Bas ( SOSO et DIANE) montre que détection précoce, motivation pour le bilan de l'enfant et l'intervention ainsi que la qualité de vie sont liées.
La pratique de l'exercice physique en groupe est facteur de socialisation. L'impact de pratiques sportives sur la progression personnelle mais aussi sur l'inclusion sociale est mesurable. Il n'est pas forcément durable si la pratique de sport collectif n'est pas maintenue. Les spécialistes réunis pour cette journée scientifique vont contribuer à éclairer nos hypothèses de recherche et nos pratiques.
Dans cet amphithéâtre rempli de jeunes, étudiants et praticiens, l'heure est aux échanges de savoir et de savoir-faire pour une actualisation voire, dans notre pays, une transformation des pratiques auprès des personnes avec autisme, petits et grands.
Pr Catherine BARTHÉLÉMY
Pédopsychiatrie
II– Accompagnements des personnes avec des troubles du spectre autistique et des troubles des apprentissages
De façon délibérée, j’ai pris le risque d’introduire cette rubrique en interrogeant un certain nombre d’évidences et en ouvrant ainsi le débat. Comme le suggère l’intitulé, l’accompagnement aujourd’hui est « pluriel ». Nous assistons en effet à une diffusion du concept et à une prolifération des pratiques d’accompagnement dans tous les secteurs de l’activité sociale, et notamment dans le champ du handicap. Dans ce domaine, elle concerne aussi bien les pratiques éducatives et pédagogiques que les pratiques thérapeutiques, psychologiques et sociales. Il s’agit d’une pratique multiforme qui interroge, car elle risque d’avoir pour effet un amalgame de tâches et de rôles jusqu’à présent bien différenciés.
Ce rassemblement sous une même appellation n’est pas sans poser problème, d’autant plus que cette pratique vise non seulement les personnes dites « handicapées » mais aussi leurs familles et parfois même certains professionnels, comme les enseignants1. Mettre ainsi les enseignants dans la même position que l’enfant et sa famille comme devant être « accompagnés » par des professionnels experts n’est certainement pas une solution. Ce sont d’ailleurs les seuls professionnels placés dans cette situation, ce qui nous laisse perplexe... Cette pratique ne peut se justifier que par rapport à la personne handicapée (de l’enfance à l’âge adulte). Est-elle bien pertinente pour l’enseignant, voire pour la famille ?
Si cette pratique rencontre aujourd’hui une telle adhésion c’est qu’elle se définit par rapport à une autre pratique qui fait office de repoussoir. Elle sert à dire ce que l’on ne veut plus cautionner, ce qui est devenu obsolète ou dépassé : la « prise en charge ». Outre que cette dernière pratique considère la personne aidée comme un « objet », elle suggère l’idée de « poids » et de « pénibilité ».
L’accompagnement s’inscrit donc en rupture ou du moins en contraste par rapport à des pratiques antérieures, encore existantes, en se recommandant de l’éthique. Désormais à travers l’accompagnement de la personne avec handicap, en cheminant à ses côtés, dans une relation moins dissymétrique, plus soucieuse de l’échange et du partage, il s’agit de l’appréhender dans sa globalité, avec son projet de vie, sa personnalité, en prenant en compte ses aspirations, ses besoins mais aussi ses compétences propres. Ainsi dans cette pratique d’accompagnement est privilégiée la démarche d’individualisation ou de personnalisation, avec une préoccupation éthique de respect de la personne
et dans un souci de « prendre en compte » et non plus de « prendre en charge » ses besoins particuliers.
Malgré son utilisation parfois abusive la notion d’accompagnement marque un progrès dans le regard porté sur la personne handicapée. En contraste avec cette notion, la référence aux « troubles » (du spectre autistique et des apprentissages) contenue dans l’intitulé de cette rubrique ne doit pas nous faire oublier la personne avec ses compétences propres et son potentiel de développement. Le risque de se centrer exclusivement sur les difficultés liées à une pathologie spécifique est toujours présent. Il peut mettre en contradiction avec la logique de l’accompagnement et celle du respect de la personne. Avant de se centrer sur les troubles autistiques, il s’agit de « prendre en compte » la personne et d’être attentif
autant à l’expression de ses compétences propres qu’à celle de ses difficultés. De même la notion de
« programme » invoqué plusieurs fois dans les intitulés des articles proposés nous questionne. Elle est à manier avec précaution. Autant il est important d’anticiper une démarche éducative ou thérapeutique, autant il convient de ne pas s’y enfermer en laissant place à l’imprévu de la situation et de ses manifestations. E. Morin dans son approche de la « complexité » nous rappelle que les réalisations ne se passent jamais comme prévu, ce qui nous incite à prendre en compte les aléas de la situation et à
s’y ajuster. Aléas n’est pas à prendre ici seulement au sens de « difficultés », mais aussi d’opportunités à saisir. Pour ce faire, il nous propose la notion de « stratégie ». Cette dernière « ne désigne pas un programme prédéterminé qu’il suffit d’appliquer ne varie dans le temps. La stratégie permet, à partir d’une décision initiale, d’envisager un certain nombre de scénarios qui pourront être modifiés selon les informations qui vont arriver en cours d’action et selon les aléas qui vont survenir et perturber l’action. »2 Mais le hasard n’est pas simplement un facteur de perturbation. « La stratégie ne se borne pas à lutter contre le hasard, elle essaie aussi de l’utiliser », car il « est aussi la chance à saisir ». La stratégie,
tout en s’appuyant sur des programmes virtuels à réaliser, se prépare à saisir toutes les « occasions » pour les adapter ou à les enrichir. Pour C. Castoriadis, « le programme n’est qu’une figure fragmentaire et provisoire du projet »3. S’il en est ainsi, selon la nature du projet, le programme est un moyen au service d’une visée thérapeutique, psychologique, éducative ou pédagogique…
Un autre aspect déterminant de cet accompagnement concerne les apprentissages scolaires et la formation professionnelle de ces jeunes, qui renvoient à l’accompagnement pédagogique des enseignants. Autant dire que pour accompagner efficacement dans ce domaine, il ne suffit pas d’être compétent dans le domaine de la compréhension des troubles autistiques, il convient aussi d’avoir des compétences pointues dans les domaines disciplinaire, didactique et pédagogique.
Les enseignants, de la maternelle au lycée professionnel, ont alors un rôle déterminant à jouer dans l’accompagnement de ces jeunes. S’il est nécessaire de se préoccuper du dépistage et de l’accompagnement précoce, il ne s’agit là que du début d’un long chemin à parcourir… Il est tout aussi important de développer les accompagnements de la scolarité et de la formation professionnelle de ces personnes, ce qui suppose un engagement important des professionnels de l’éducation.
En effet même si l’élève doit bénéficier de l’aide de professionnels spécialisés, rien ne peut remplacer le rôle des enseignants dans ce domaine. Un effort de formation et de sensibilisation de ces professionnels de l’éducation constitue donc un enjeu important pour le devenir de ces jeunes avec autisme. Ils s’inséreront d’autant mieux dans notre société qu’ils auront été accueillis par des enseignants compétents et volontaires qui, seuls, peuvent leur apporter les connaissances et les compétences nécessaires. Ce chantier n’a pas encore été vraiment ouvert, mais la loi du 11 février 2005 l’autorise
désormais, dans la mesure où la scolarisation et la formation ont été posées comme des droits communs. Ce n’est plus de nos jours aux personnes avec handicap à s’adapter au milieu d’accueil à l’aide de professionnels spécialisés, ce qui correspondait à la logique de l’ « intégration » inhérente à la loi précédente de 1975. Selon la logique nouvelle de l’ « inclusion », c’est désormais au milieu d’accueil, avec ses professionnels ordinaires, de s’adapter et de répondre aux besoins particuliers de ces personnes. Il s’agit d’une véritable « révolution culturelle » dont nous sommes loin d’avoir mesuré tous les effets et les implications.
C. PHILIP
Maître de conférences et responsable de formation à l’INS HEA
1 Cf. la circulaire interministérielle n° 2005-124 du 8-3-2005 sur la politique de prise en charge des personnes atteintes d’autisme et de troubles envahissants du développement qui, dans sa deuxième partie, propose un paragraphe intitulé : « Apporter une éducation adaptée et favoriser la scolarisation en milieu ordinaire en assurant l’accompagnement des enfants, de leur famille et des enseignants ».
2 Introduction à la pensée complexe. Éd. ESF, Paris,1990, p.106.
3 L’institution imaginaire de la société. Éd. du Seuil, Paris, 1975, p.107
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