Lu pour vous - La différenciation pédagogique en mathématiques

Publié le par ANAE

La différenciation pédagogique en mathématiques, une réponse aux besoins de chaque élève et un outil pour tous les enseignants du 1e degré

 

Françoise Duquesne-Belfais, ancienne formatrice à l’INS HEA et maître de conférence honoraire, et Marie-Alix Girodet, maître de conférences honoraire à l’université Paris Descartes, ont élaboré les manuels d’enseignement « Tous en maths ! » (Éditions Nathan) fondés sur la différenciation pédagogique afin d’adapter l’enseignement des mathématiques aux besoins de chaque élève.

 

Sonia Christon
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Françoise Duquesne-Belfais
Nommée professeur de mathématiques en 1977, j’ai été amenée, dès le début de ma carrière, à concevoir des adaptations pédagogiques pour motiver mes élèves sur cette discipline. En 1979, je me suis rapprochée de l’équipe de recherche de l'Irem (1) de Paris-Nord au sein duquel j'ai pu enclencher un travail de réflexion sur les démarches d'enseignement des mathématiques. C’est cette alternance professionnelle entre ma classe et un groupe de recherche action pendant 10 ans qui m’a conduit à mesurer les bénéfices d’une véritable articulation entre théorie et pratique. Depuis 1987, j’ai exercé le métier de formateur au Cnefei puis à l'INS HEA (Suresnes). La rencontre avec le handicap m’a permis de mieux prendre en compte les difficultés d’apprentissages en mathématiques. J’ai plus particulièrement travaillé sur les caractéristiques de fonctionnement cognitif des enfants handicapés moteurs, ceux atteints de dyspraxie, de dysphasie et de dyslexie, et sur ceux des enfants sourds. J’ai ensuite soutenu une thèse (2) en Sciences de l’éducation en 2007 et ai poursuivi un parcours d'enseignant chercheur formateur.

S.C
Quelle a été votre démarche pour aboutir à la publication d’un manuel pour tous les élèves ?

F. D-B.
Face à l'hétérogénéité grandissante des élèves et au nombre croissant d‘enfants en difficultés scolaires (et ce particulièrement en maths, au vu des évaluations nationales ou internationales), j'ai ressenti le besoin de réinvestir auprès de tous les élèves l'expérience que j'avais acquise avec des enfants à besoins éducatifs particuliers. Ces manuels sont l'aboutissement concret de mes constants efforts en tant que formatrice pour articuler théorie et pratique : j'ai choisi de soumettre mes principes pédagogiques à l'épreuve de la réalité en concevant un outil fondé sur l'observation et l'analyse de l'activité de chaque élève. J'espère ainsi aider les enseignants à prendre en compte les différences de fonctionnement entre leurs élèves et les diverses voies possibles pour accéder aux mathématiques.

S.C.
Qu’appelez-vous différenciation pédagogique ?

F. D-B.
Pour permettre à chaque élève d’accéder au mieux aux apprentissages et aux savoirs visés, de s’investir dans les activités selon ses intérêts et ses possibilités, il est nécessaire de développer une pédagogie différenciée qui consiste en un enseignement plus personnalisé, définissant des parcours adaptés au plus près des difficultés et des potentialités de chacun. En cela, cette démarche s’inscrit dans l’esprit de la loi de février 2005 qui impose la scolarisation de tous les élèves et nous invite donc à prendre en compte les besoins éducatifs de chacun d’entre eux, dans sa singularité et ses différences.
Différencier sa pédagogie, c'est permettre un accès égal aux objectifs visés, pour tous les élèves, en leur fournissant des aides différenciées, adaptées à leurs besoins particuliers.  

S.C.
Quel est l’objectif principal de la différenciation pédagogique ?

F. D-B.
La différenciation pédagogique est une méthode fondée sur la reconnaissance des différences entre les élèves et a donc pour objectif la gestion de l’hétérogénéité d'une  classe. En effet, les élèves d’une même classe apprenant différemment, ils peuvent avoir besoin de plus ou moins de supports concrets, de plus ou moins de temps pour développer leurs compétences, ou de plus ou moins de diversité dans l’adaptation des activités proposées. L’objectif est donc de permettre à chaque élève d’apprendre dans les conditions qui lui conviennent le mieux selon ses besoins propres. Différencier la pédagogie, c’est donc mettre en place des dispositifs de traitement des difficultés de certains élèves pour faciliter l’atteinte des objectifs de l’enseignement et permettre à ceux qui n’ont pas de difficultés particulières de poursuivre leurs apprentissages en surmontant d’autres obstacles. Il s’agit dès lors d’introduire une différenciation au niveau des tâches à effectuer, de leur niveau d'abstraction, des supports proposés, du rythme d'acquisition attendu, du degré d'autonomie de l'apprenant et du mode de regroupement des élèves (activité individuelle, travail par équipe de deux, groupes de besoin…). Il ne s’agit donc pas de différencier les objectifs, mais de permettre à tous les élèves d’atteindre les mêmes objectifs par des voies différentes.

S.C.
Concrètement, comment l’enseignant qui le souhaite, peut-il appliquer la différenciation pédagogique dans sa classe ?

F. D-B.
L’enseignant a d'abord pour tâche de choisir des situations qui font « rencontrer » aux élèves les notions visées dans des activités qui ont du sens pour eux, tout en tenant compte de leurs différentes pré-conceptions (par exemple, jeux ou activités préparatoires qui, dans les manuels, sont dans les encadrés « Cherchons ensemble »). Ensuite, il se doit d’identifier les besoins de chaque élève dans une évaluation diagnostique (encadrés « Je cherche seul ») afin de proposer des situations d'apprentissages différenciées (encadrés « Parcours différenciés »). Enfin, il doit permettre à chaque élève d'identifier les savoirs en jeu au delà de la réalisation des activités et des tâches elles-mêmes (encadrés « J’ai appris » ou « Je retiens »).

Pour l’enseignement des mathématiques, l’enseignant peut par exemple :

1. Diversifier les approches didactiques :

- pour un même objectif, varier le type de situations à résoudre, la nature du matériel utilisé, le niveau d'abstraction et l'importance des paliers pour accéder aux concepts abstraits ; par exemple, faire varier les accès au calcul (calcul mental, calcul écrit, calcul figuré (3) avec du matériel) ;

- proposer des situations qui peuvent se résoudre de plusieurs façons (mises en commun, explicitation, comparaison et hiérarchisation des diverses procédures). Voir l’exemple (p. 152 du manuel CP) avec plusieurs procédures pour trouver une différence entre 2 nombres :

 

 

- établir des liens entre les maths et la vie quotidienne, culturelle et sociale des élèves, qui, pour certains, ont besoin de se rattacher à des situations concrètes en relation  avec leur vie personnelle pour réussir à donner un sens à des exercices abstraits. Voir l’exemple (p. 30-31 du manuel CP) :

 



2. Multiplier les supports des tâches à résoudre :

- En ne focalisant pas tous les apprentissages sur le langage :

a. en jouant sur la multiplicité des systèmes de signifiants (langage naturel, langage symbolique, matériel didactique, schéma, tableau,...). Voir l’exemple (p. 108 du manuel CE1) d'une technique opératoire de soustraction, donnée en ligne, avec matériel, en colonne, avec ou sans fiche de manipulation :

 

 

b. en utilisant différentes façons de représenter les concepts. Voir l’exemple (p. 102 du manuel CP) des différentes écritures des nombres : avec doigts constellations, boites et anneaux, abaques et bandes numériques :

 

 

c. en diversifiant les présentations des énoncés de problèmes : sous forme de jeu, d’image, de texte, de tableau, de graphique...

- En s'appuyant sur des activités préparatoires pour chaque nouvel apprentissage qui servent de situations de référence. Voir l’exemple (p. 15 du guide pédagogique CP) :

 

 

- En utilisant divers matériels comme le « numérano » (description p. 9 du manuel CE1) :

 

 

3. Différencier les modalités de travail en organisant le travail :

- en petits groupes
- en individuel
- en grand groupe
- avec des activités plus ou moins guidées
- en laissant plus ou moins d'autonomie aux élèves
- en utilisant le tutorat entre les élèves.
Varier les modalités d'accompagnement des apprentissages permet aux enseignants d'améliorer l'observation de leurs élèves, de mieux analyser leurs difficultés, leurs capacités et leur motivation.

4. Adapter le niveau d'exigence dans la conceptualisation :

Notre hypothèse est que simplifier ne permet pas d'apprendre. Le mieux est de différencier les aspects complexes d'un concept en mettant tous les élèves, les élèves en difficulté comme les plus performants, devant des obstacles : les manuels proposent trois niveaux d'obstacles qui correspondent à trois niveaux d'abstraction dans l'élaboration des concepts mathématiques visés. 

 5. Moduler les rythmes d'apprentissage :

Enfin, pour varier le rythme des apprentissages, l’exemple suivant (du manuel CE1 p. 77) repose sur trois niveaux de difficulté (indiqués par des étoiles) avec une propriété géométrique dans des figures, plus ou moins facilement identifiable. Les compétences sont atteintes dans la situation ** (niveau 2) ; les élèves ne sont donc pas tous obligés de résoudre la situation *** (niveau 3) :

 

 

 

S.C.
Quels effets bénéfiques ces différenciations pédagogiques entraînent-elles ?

F. D-B.
Différencier sa pédagogie permet avant tout à l'enseignant de mieux connaître ses élèves et d'analyser au plus près leur fonctionnement en situation d'apprentissage. Nous remarquons aussi souvent que cette démarche favorise les interactions au sein d’une classe. En effet, donner l'occasion aux élèves de travailler sur des objectifs communs mais dans des tâches différentes et en utilisant différentes procédures implique des échanges plus riches et conduit doucement les élèves vers plus d'autonomie (appui du groupe de besoins ou de tuteurs). L’essentiel étant de considérer l'hétérogénéité non plus comme un empêchement mais comme une ressource. Enfin, prendre en compte les besoins individuels ne signifie pas les traiter de façon individuelle, ni interagir avec chaque élève sur le mode du préceptorat. Le but est de maintenir une dynamique collective orientée par des objectifs communs, tout en développant des parcours d'apprentissage individualisés.

Notes :

1. Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques
2. Activité et langages dans la conceptualisation mathématique : des apprentissages des élèves sourds à la formation de leurs enseignants. Thèse dirigée par D. Poisson: Sciences de l'Éducation : Lille 1 : 2007. 402 p.
3. Le calcul figuré est soutenu par l'utilisation d'un matériel.

Entretien réalisé par Sonia Christon

Pour en savoir plus sur les manuels d’enseignement « Tous en Maths ! »
Site web de Françoise Duquesne…
Site web des éditions Nathan…

 

Source : http://communication.inshea.fr/ins_flash/flash_51/html/Flash51-01.htm

 

ANAE - anae@wanadoo.fr  -  www.anae-revue.com  -  www.anae-revue.over-blog.com

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