Lu pour vous - Traitement de choc pour les nuls en maths
Traitement de choc pour nuls en maths
Peut-on augmenter les capacités mathématiques d’une personne par une simple stimulation électrique transcrânienne? C’est en tout cas ce qu’une équipe de chercheurs britanniques annonçait avoir réussi dans la revue Current Biology, fin novembre, ouvrant de nouvelles perspectives pour le traitement de la dyscalculie.
La perception des nombres est indispensable au calcul, qui repose sur l’aptitude à associer des quantités à des symboles et à pouvoir ensuite les manipuler. Plusieurs travaux avaient déjà montré que cette faculté est notamment liée à l’activité du cortex pariétal droit, région du haut du crâne, que les chercheurs ont choisi de stimuler par l’injection d’un faible courant, via des électrodes posées sur le cuir chevelu. Cette technique indolore, appelée stimulation transcrânienne en courant continu ou tDCS, avait déjà donné des résultats encourageants pour augmenter la récupération motrice ou lexicale chez des personnes victimes d’accidents vasculaires cérébraux.
Dans l’expérience mise au point par les chercheurs de l’University College de Londres et de l’Université d’Oxford, les volontaires devaient apprendre sur un écran de nouveaux symboles représentant des quantités, puis les utiliser dans des tests de classements qui révélaient leur assimilation en tant que valeurs numériques. Durant cet apprentissage, ils étaient stimulés ou pas par un léger courant électrique appliqué entre deux points précis de leur crâne.
Le résultat a été sans appel. Non seulement cette stimulation électrique douce a augmenté la capacité des sujets à manipuler ces nouveaux symboles numériques, mais l’application du courant en sens inverse, connu pour avoir un effet inhibiteur, a aussi réduit leur performance. De plus, l’effet positif de la stimulation était encore mesurable six mois plus tard chez les sujets, signe que le courant électrique avait induit des changements durables dans les connexions nerveuses utiles à la manipulation abstraite des nombres. «Pour la première fois, un effet spécifique et positif sur une fonction mentale de numération a été produit par une stimulation externe du cerveau», conclut le premier auteur de l’étude, Roi Cohen Kadosh, de l’University College de Londres.
Le traitement n’a pas eu d’effet sur l’aptitude à manipuler les chiffres arabes, déjà maîtrisée par les volontaires. Cela suggère une action au niveau de l’apprentissage, ainsi que la possibilité pour plusieurs systèmes de représentation numérique de coexister dans le cerveau.
La tDCS est une technique ancienne qui présente de nombreux avantages, notamment par rapport à la stimulation magnétique transcrânienne, plus connue et sérieusement envisagée pour le traitement de certains troubles psychiatriques, comme la dépression. Elle est imperceptible, dépourvue d’effets secondaires pour autant que l’on sache, moins coûteuse et facilement transportable. Même si son action sur le cerveau est encore mal comprise, elle retient de plus en plus l’attention des chercheurs en neurosciences pour son potentiel thérapeutique.
«Le travail présenté dans Current Biology est prometteur et nous intéresse beaucoup», commente ainsi Karin Kucian, spécialiste de l’étude de la dyscalculie à l’Hôpital universitaire pour enfants de Zurich. Si ces résultats se confirment, la tDCS pourrait offrir un nouveau moyen de traiter cette incapacité plus ou moins profonde à se servir de chiffres pour effectuer des calculs. Moins connue que la dyslexie mais aussi répandue, la dyscalculie est un handicap perturbant qui peut rendre une personne allergique aux mathématiques pour toujours. Or les récents progrès en imagerie médicale ont permis de mieux analyser comment le cerveau traite les nombres et de découvrir que cette fonction s’appuie sur notre capacité de représentation mentale de l’espace. Ceci a conduit l’équipe de Stanislas Dehaene, de l’unité de neuro-imagerie cognitive de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale à proposer en 2006 un jeu éducatif gratuit, «La course aux nombres», destiné à améliorer la représentation spatiale des nombres chez les jeunes enfants dyscalculiques. De leur côté, les chercheurs britanniques attendent maintenant le feu vert d’une commission d’éthique pour pouvoir tester leur nouvelle technique chez ces enfants.
Actuellement, des thérapies permettent déjà d’obtenir dans certains cas des résultats très encourageants, pour autant que la dyscalculie soit détectée assez tôt. «En Suisse, le dépistage n’est pas encore aussi développé que celui de la dyslexie, précise Karin Kucian, et il existe une très forte disparité entre les établissements scolaires.» Les deux troubles vont toutefois souvent de pair. Mais, contrairement à la dyslexie, la dyscalculie est un trouble de l’apprentissage plutôt hétérogène, ce qui exige une thérapie adaptée à chaque enfant. Le laboratoire de Karin Kucian a néanmoins mis au point un programme d’exercices qui permet d’obtenir, au bout de cinq semaines et à raison de 20 minutes par jour, des résultats sensibles. Les enfants arrivent alors à effectuer des opérations d’addition et de soustraction, ce qui va plus loin que le simple classement de symboles numériques stimulé par la tDCS et peut déjà supprimer le début d’une aversion incontrôlée au moindre calcul.
Source : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/38af9f58-1aa6-11e0-b77c-dce418753a33%7C2