ANAE N° 112/113 - Le développement du jeune Enfant
Parution 15 mai 2011
Le développement du jeune enfant
Les apports de la recherche
à la prise en charge des enfants aujourd’hui et demain
par les professionnels
N° coordonné par le Pr P. GUIMARD
Département de psychologie du développement et de l’éducation, LabÉCD et ERT 50, Université de Nantes,
Les connaissances sur la psychologie des enfants dès les débuts de la vie, sur le développement de leurs compétences et de leur personnalité, sur l’impact des contextes éducatifs dans leurs trajectoires personnelles se sont profondément renouvelées au cours des dernières décennies grâce aux recherches réalisées avec l’apport de nouvelles méthodologies. Quels sont les principaux apports de ces recherches pour l’éducation et la formation au 21e siècle ? Tel était le thème du colloque international intitulé « Le Développement du jeune enfant : les apports de la recherche à la prise en charge des enfants aujourd’hui et demain par les professionnels », organisé en juin 2010 par le laboratoire de psychologie « Éducation, cognition, développement » (LabÉCD) et l’équipe de recherche technologique en éducation (ERT 50) de l’Université de Nantes. Cette manifestation scientifique visait plus précisément à présenter et à discuter des axes actuels de la recherche en psychologie de l’enfant et de l’éducation et à montrer en quoi ces travaux peuvent aider à définir de nouvelles orientations pour les pratiques des professionnels de l’enfance. Plus de 300 participants, chercheurs et professionnels (puéricultrices, orthophonistes, enseignants, assistants sociaux, éducateurs de jeunes enfants, formateurs de formateurs, médecins etc.), intervenant dans différentes structures ou institutions (santé, Education nationale, secteur associatif, etc.) ont pu échanger et croiser leurs connaissances et leur expérience sur les thématiques suivantes : « L’attachement et les pratiques professionnelles », « Les apprentissages scolaires », « L’enfant en situation de difficulté ou de handicap » et « La qualité de vie, le bien-être et la socialisation de l’enfant ».
Ce numéro d’A.N.A.E. présente une sélection de ces contributions qui ont été regroupées en trois parties. La première présente des travaux qui renouvellent nos conceptions du développement des enfants, qu’il s’agisse du rôle de l’imagination dans le raisonnement, de l’attachement, de la théorie de l’esprit, de l’enfant en situation de handicap ou d’interrogation sur les enjeux de l’éducation de demain. La seconde partie réunit les apports de recherches empiriques visant l’étude du fonctionnement psychologique de l’enfant « tout-venant » (ou typique) dans des contextes spécifiques et suggérant des pistes d’intervention et de formation pour les professionnels qui en ont la charge. La troisième partie traite plus spécifiquement de l’enfant en difficulté ou en situation de handicap et rapporte les résultats de travaux évaluant les effets de dispositifs éducatifs susceptibles d’améliorer leur développement cognitif et langagier et plus généralement leur qualité de vie et leur bien-être. Ces différentes contributions sont succinctement présentées ci-dessous.
DES CONCEPTIONS ACTUELLES EN PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT ET EN ÉDUCATION
P.L. Harris et M. Jalloul abordent la question du rôle de l’imagination sur le raisonnement chez le jeune enfant. Les résultats des recherches dans lesquelles les enfants ont à raisonner sur des syllogismes montrent qu’ils ont une capacité naturelle à raisonner à partir de prémisses peu plausibles et que cette capacité est encore plus prégnante si les prémisses se situent dans le contexte d’un scénario imaginaire. Les auteurs en déduisent que l’imagination des enfants facilite leur raisonnement plutôt qu’elle ne l’entrave. L’école pourrait donc avoir un rôle important à jouer dans le développement de l’imaginaire des enfants.
S. Vanwalleghem et R. Miljkovitch proposent une revue de questions sur l’attachement et en particulier des travaux étudiant les effets des séparations de routine, occasionnées par la garde non parentale, sur la sécurité d’attachement de l’enfant. Il apparaît ainsi que la qualité des soins dispensés sur le lieu de garde influe grandement sur la sécurité d’attachement de l’enfant et qu’elle est influencée par la qualité de la formation du personnel de garde et le taux d’encadrement. Ces résultats contribuent à souligner le fort impact de l’éducation de la petite enfance sur les trajectoires individuelles et à interroger les choix de politique éducative dans ce domaine à fort enjeu sociétal.
E. Thommen, B. Cartier-Nelles, A. Guidoux et S. Wiesendanger proposent un panorama des connaissances actuelles sur la théorie de l’esprit, mais apportent une contribution nouvelle en comparant le développement normal et le développement atypique. Elles montrent que les faibles occasions de converser avec autrui ou le fait de manquer d'interactions sociales sont préjudiciables au développement de la théorie de l'esprit chez les enfants sourds ou porteurs d’autisme. Concevoir des interventions ciblant les compétences langagières et introduisant précocement les fonctions de représentations des états mentaux dans le langage est indispensable pour aider les enfants à développer harmonieusement leurs capacités de communication sociale.
D. Mellier considère l’enfant en situation de handicap. L’auteur souligne d’une part que l’étude des enfants à besoins spécifiques, présentant des déficiences sensorielles, intellectuelles (retard mental) ou un trouble envahissant du développement, occupe une place fondamentale en psychologie de l’enfant et de l’éducation. D’autre part, il présente diverses perspectives de recherches fondamentales et appliquées permettant de développer des stratégies éducatives adaptées à leurs besoins.
Dans une perspective différente des précédentes, celle de l’éducation familiale, H. Desmet et J.-P. Pourtois analysent les ruptures et les continuités dans les manières d’éduquer d’hier et d’aujourd’hui à partir des données d’une étude longitudinale de 30 années, menée sur deux générations. Soulignant les enjeux importants de l’éducation aujourd’hui du fait des changements économiques, sociaux et technologiques, les auteurs plaident pour des stratégies éducatives comportant une part de socialisation favorisant l’identité personnelle et une part de développement à la citoyenneté suscitant l’esprit de responsabilité au sein de la société, dans une perspective d’émancipation.
ÉTUDE DU FONCTIONNEMENT PSYCHOLOGIQUE DE L’ENFANT TYPIQUE DANS DES CONTEXTES SPÉCIFIQUES
La contribution d’A.-M. Doucet-Dahlgren porte sur les évolutions actuelles du métier d’assistante maternelle. Elle montre notamment que les connaissances sur le développement du jeune enfant et les évolutions sociales récentes ont contribué depuis peu à redéfinir les compétences professionnelles des assistantes maternelles. Ces compétences se définissent aujourd’hui davantage en termes de prise en compte des besoins des enfants, dont le besoin d’attachement, et de leurs familles.
S. Pinel-Jacquemin et M. Kettaniproposent une étude exploratoire dont l’objectif est d’analyser l’attachement parent-enfant, tel que les enfants, les parents ainsi que les conjoints le perçoivent. L’intérêt est de montrer d’une part des différences dans les représentations de la qualité d’attachement d’un enfant à ses deux parents ou de deux enfants à un même parent. D’autre part, il apparaît que la dynamique relationnelle de la famille influence la qualité de la relation d’attachement mère-enfant et père-enfant.
La contribution d’O. Cosnefroy examine un fait particulièrement intrigant retrouvé dans la littérature internationale : les enfants nés en fin d’année civile présentent comparativement à ceux nés en début d’année un risque significatif de rencontrer des difficultés scolaires à l’école élémentaire. A partir d’un échantillon d’écoliers suivis longitudinalement à partir du cours préparatoire, il montre que les habiletés d’autorégulation des élèves contribuent à expliquer l’effet de l’âge sur leur trajectoire scolaire. Cette recherche suggère ainsi que des interventions améliorant ces habiletés d’autorégulation pourraient réduire les inégalités scolaires liées à l’effet de l’âge, notamment pour les élèves en difficulté en début de scolarité.
L’article de F. Bacro, A. Rambaud, A. Florin et P. Guimard interroge la question de l’autoévaluation de la qualité de vie chez les jeunes enfants. Après avoir rappelé les difficultés inhérentes à la définition de cette notion et recensé l’intérêt et les limites des instruments d’évaluation existants, les auteurs soulignent tout l’intérêt de mettre de tels outils à disposition des professionnels de l’éducation, afin qu’ils puissent évaluer l’impact de leurs prises en charge sur le bien-être des enfants tout-venants et/ou à besoins spécifiques.
A. Beaumatin et C. Robert s’intéressent également à la qualité de vie des enfants mais sous l’angle de leur socialisation et de la diversité des réseaux relationnels qu’ils investissent dans leur environnement habituel. Les auteures identifient les décalages entre les réseaux personnels de relation décrits par des enfants de 4 et 5 ans et ceux perçus par leurs propres parents. Elles montrent, en outre, toute l’importance accordée par les enfants aux réseaux relationnels établis lors de leurs activités de loisirs. Comme F. Bacro et al., les auteurs soulignent la pertinence de l’autoévaluation de leur qualité de vie par les enfants.
E. Gardair et S. Constans examinent le contexte des loisirs, cadre de vie peu étudié en France, alors même qu’il participe au développement personnel des enfants et des adolescents. La recherche explore plus particulièrement les représentations sociales de l’enfant et de l’adolescent et des pratiques pédagogiques en contexte de loisirs, que mobilisent des animateurs socioculturels. Ces représentations pouvant être très différentes selon certaines caractéristiques des animateurs, des compléments de formation sont suggérés, afin d’aider ces professionnels à développer des stratégies éducatives adaptées aux besoins des enfants et des adolescents.
EFFETS DE DISPOSITIFS FAVORISANT LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT EN SITUATION DE DIFFICULTÉ OU DE HANDICAP
Le texte d’A.-M. Toniolo, H. Deforge et S. Arborio porte sur les dispositifs de prévention et en particulier des réseaux de périnatalité actuellement mis en œuvre pour venir en aide aux difficultés des enfants prématurés. Les auteurs interrogent l’efficacité des actions conduites en réseau, leur évaluation et plus largement leur fonctionnement. Les auteurs plaident en faveur de réseaux qui ne soient pas la juxtaposition de compétences diversifiées mais bien la mise en œuvre d’actions coordonnées et plus intégratives au service du bien-être et de la qualité de vie des enfants et de leurs parents.
La recherche de M.T. Le Normand, E. Veneziano,A. Scripzac et F. Testagrossa vise à mesurer les effets d’interventions sur la composante « évaluative » des récits produits par 20 enfants dysphasiques âgés de 9 ans à 10 ans ½. Les résultats montrent des effets positifs à court terme de ces interventions qui aident les enfants à être cognitivement plus disponibles pour intégrer les différentes composantes impliquées dans la construction du récit et pour mieux cerner les attentes relatives à ce qui est important de raconter. Les professionnels souhaitant aider les enfants dysphasiques à développer leurs compétences narratives pourraient tirer bénéfice de ces méthodes d’intervention.
C. Maillart et collaborateurs étudient, en contexte de prise en charge orthophonique, les effets d’une méthode d’intervention destinée à aider des parents d’enfants en difficulté langagière à mieux s’ajuster au développement langagier de leurs enfants. Les résultats confirment qu’un travail aidant les parents à analyser les difficultés langagières de leurs enfants et à enrichir leurs interactions, produit des changements comportementaux dont les effets persistent à long terme. Cette recherche exploratoire sera poursuivie pour évaluer l’impact de cette guidance parentale sur l’amélioration des capacités langagières des enfants.
S. Ouellet, I. Caya et M.-P. Tremblay sont allés dans les écoles québécoises pour explorer le développement du répertoire communicationnel des élèves polyhandicapés. Les résultats montrent qu’en prenant en compte leurs besoins particuliers de communication et en visant des objectifs microgradués, il est possible d’améliorer leurs capacités de communication. Par ailleurs, cette intervention contribue à faire évoluer les représentations des professionnels pour qu’ils soient plus à même de reconnaître les capacités d’apprentissage de l’élève polyhandicapé.
M. Zorman, M. Duyme, S Kern, M.-T. Le Normand, C. Lequette et G. Pouget présentent une évaluation du programme « Parler bambin », destiné à renforcer les capacités langagières d’enfants accueillis en crèches et issus de milieux socioculturels défavorisés. Une amélioration des compétences langagières des enfants ayant bénéficié de ce dispositif de prévention est observée, les parents développant leurs compétences éducatives et leur implication. Pour les auteurs, ce programme facilement généralisable et ne demandant pas d’investissements importants, peut contribuer à réduire les inégalités sociales et ce d’autant mieux qu’il s’inscrit dans une politique publique de la petite enfance et de l’enfance.
Enfin, en contrepoint de ces contributions et en guise d’ouverture sur les dimensions économiques de l’univers de l’enfant, V. Legrand présente le Pôle Enfant et les actions de recherche et développement qu’il encourage, en intégrant les apports des recherches dans l’innovation en matière de produits et de services, pour des industriels regroupés dans ce Pôle unique en Europe et partageant une charte éthique.
Nous espérons que cette publication sera une contribution aux échanges entre chercheurs et professionnels réunis par le souci d’actualiser leurs connaissances et de partager leurs expériences, en ayant une conception globale de l’enfant intégrant ses dimensions cognitives, sociales, affectives, et souhaitant apporter leurs compétences à l’aide au développement, tant pour les enfants tout-venant que pour les enfants à besoins atypiques.
Varia
A propos des difficultés en mathématiques à la fin de l’école élémentaire
L’apport d’un test spécifique (Zareki-R) à la description des troubles numériques chez des enfants en difficulté d’apprentissage M.-O. ROUX
Cette étude porte sur un groupe d’enfants de fin d’école primaire (CM1, CM2) scolarisés dans des classes ordinaires et suivis en remédiation en mathématiques. L’objet de ce travail est de mettre en évidence un éventuel profil caractéristique chez ces sujets et d’éclairer la nature des troubles qu’ils rencontrent sur le plan du traitement des nombres. A cet effet, un test spécifique, le Zareki-R, a été utilisé. Les résultats montrent que des difficultés importantes différencient ces enfants de la population normative de référence. Les points faibles caractéristiques des sujets de notre échantillon révèlent des lacunes portant sur le calcul mental, des difficultés dans la représentation des nombres en situation, dans le raisonnement sur ces nombres et leur manipulation en mémoire de travail.
L’analyse clinique suggère que le fonctionnement de ces enfants est très souvent altéré au-delà des seules habiletés mathématiques. Il semble que ces sujets en grande difficulté avec les apprentissages mathématiques ne constituent pas un groupe homogène. Des hypothèses concernant l’implication de différentes problématiques (difficultés globales, troubles psychologiques, troubles cognitifs spécifiques) sont suggérées en vue d’une étude ultérieure.
Organisation factorielle et évaluation des fonctions exécutives chez l’enfant en âge préscolaire et scolaire C. CATALE & T. MEULEMANS
L’objectif de cet article est de faire une revue des principales études qui ont exploré l’organisation factorielle des fonctions exécutives, et principalement des processus d’inhibition, de flexibilité et de mémoire de travail au cours du développement, et [2] de faire un bref récapitulatif des outils utilisés en neuropsychologie de l’enfant pour l’évaluation de ces trois processus. La plupart des travaux chez l’enfant appuient l’hypothèse selon laquelle le fonctionnement exécutif serait composé d’un ensemble de fonctions indépendantes (quoi qu’en étroite interaction). En outre, de récentes études plaident en faveur d’une différentiation progressive et spécifique de ces fonctions au cours du développement. Il apparaît dès lors indispensable, dans le cadre d’une évaluation neuropsychologique, d’utiliser des outils cliniques adéquats pour évaluer ces différents processus.
Performances d’écriture de 12 enfants à haut potentiel intellectuel
M. LIRATNI, A. WAGNER, R. PRY
Nous analysons les compétences scripturales de 12 enfants à haut potentiel (QI Total > 130) et en étudions les corrélations avec leurs compétences cognitives. Chez ces enfants, les profils psychométriques au WISC montreraient régulièrement de moins bons scores à l’indice de Vitesse et ceci est souvent imputé aux composantes graphiques impliquées dans cet indice. Nous avons administré le BHK à ces 12 enfants. Les résultats montrent des compétences scripturales dans la norme pour 10 enfants et une dysgraphie pour 2 enfants. L’analyse corrélationnelle ne montre, quant à elle, aucune liaison entre les épreuves de Vitesse et d’écriture. Ces dernières montrent pourtant une corrélation avec les épreuves verbales. Nos résultats poussent à ne pas généraliser les difficultés d’écriture à tous les enfants à haut potentiel, et laissent à penser que la réalisation écrite, chez ces enfants, s’appuie fortement sur leurs processus cognitifs linguistiques.
Le Cahier Pratique d’ANAE
Testons les tests : Le BHK, échelle d'évaluation rapide de l'écriture chez l'enfant.
F. SIEGENTHALER
ANAE N° 112/113 – Mai-juin 2011 – Vol. 23, Tome II et III
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